Quels contenus pour séduire le lecteur de presse locale à l’heure de l’infobésité ? C’était l’une des questions auxquelles ont répondu les intervenants du festival de l’info locale, à Nantes les 27 et 28 juin 2019. Formats longs, podcasts, stories, newsgames… Les conférences et débats ont fourmillé d’idées et de conseils.

4/7/19. Dense, riche, concret orienté. Voilà la première impression qui me vient à l’issue de ces deux jours passionnants dans les magnifiques locaux de Sciences Com. Jugez plutôt : près de 70 ateliers, débats ou conférences, 80 intervenants francophones et anglophones… Le tout organisé à un rythme soutenu, sans doute influencé par les Media Speed Training organisés par le même Ouest Medialab tous les ans.

Il valait donc mieux ne pas traîner dans les couloirs entre chaque session, pour ne rien rater ! Et avoir bien fixé ses priorités car trois événements avaient lieu simultanément.

La bonne idée des organisateurs : concevoir la programmation en cinq thèmes qui touchaient aux différentes problématiques des médias (et pas que l’aspect éditorial) :

  • Développer ses contenus
  • Interagir avec le public
  • Animer ses équipes
  • Monétiser ses contenus
  • Diversifier ses activités

Premier Volet: Les Contenus et formats accrocheurs et engageants 

C’est le nouveau mantra des médias, qu’ils soient nationaux ou locaux : l’engagement. A l’heure de l’infobésité et de la bataille pour l’attention, il est devenu crucial de capter l’intérêt du lecteur.

Les impressions, visites ou pages vues – indicateurs quantitatifs – ne signifient plus grand chose, voire rien quand elles sont totalement bidonnées par les plateformes.

Ces chiffres doivent être corrélés à une récurrence de visites ou un temps passé significatifs. Des statistiques de fréquentation plus qualitatives qui indiquent si les contenus ont été vraiment vus, lus, entendus.

Ceci explique la percée récente des formats longs, susceptibles d’augmenter le temps passé sur les contenus du médias – facteur de fidélisation et d’attachement au support. Et un argument auquel les annonceurs sont de plus en plus sensibles, ce qui permet de mieux monétiser son inventaire publicitaire.

 

C’est la raison pour laquelle l’ESJ Pro a développé une formation au story-telling long avec des formateurs-romanciers et a formé notamment la rédaction de La Croix qui s’apprête à lancer son hebdomadaire à la rentrée 2019.

Les Podcast, très efficaces sur certaines cibles

L’usage des podcasts est un usage qui ne concerne pour le moment qu’une à une frange étroite de la population : 6,6 % des internautes en mars 2019, et les catégories sociales favorisées (49% CSP+) et assez parisienne (25%).

Les podcasts ne représentent aujourd’hui en moyenne que 0,7% de la durée d’écoute audio sur une journée, loin derrière la radio (65% en direct ou différé) et la musique (34%).

Mais à mesure que l’offre se développe chez les médias nationaux ou locaux, l’usage pourrait se répandre assez vite.

Pas sûr en revanche que l’on puisse accorder une grande confiance en les chiffres du rapport Reuters de juin 2019. Ce rapport estime à 25% la proportion de Français qui ont écouté au moins un podcast au cours du mois précédent. Ce chiffre, signifierait un triplement des usages en un an !

On est cependant loin, à mon avis, aussi des chiffres annoncés par certains, tels ces 39% de Français selon un sondage Audible (plateforme de livres audio).

Des atouts certains, quoi qu’il en soit

  • Ils se consomment durant les temps « morts », en complément d’une autre activité (pendant les transports, les courses, la vaisselle…).
  • Il peuvent être est très immersifs grâce à l’ambiance sonore qui sollicite l’imagination
  • Ils nécessitent un investissement matériel raisonnableGrégoire Molle de l’Yonne républicaine évalue le coût de l’équipement professionnel à moins de 700 euros (enregistreur, micro externe, casque, logiciel de traitement du son et de montage comme Hindenburg ou Audacity, moins performant, mais gratuit)
    >> Lire à ce sujet les excellentes recommandations matériel de Mathieu Stéfani.
  • Ils sont accueillis avec faveur par les journalistes, contrairement à la video qui suscite parfois les réticences de ceux qui ne souhaitent pas se dévoiler autant publiquement
  • Ils suscitent un fort engagement : 81% des podcasts téléchargés sont écoutés selon Médiamétrie.

  • Ils commencent à intéresser les annonceurs sur des cibles jeunes et CSP+, et peuvent rapporter de l’argent aux médias, sur des modalités de sponsoring

Quelques conseils pour réussir ses podcasts:

  • D’abord, si vous voulez toucher du monde, les podcasts ne sont pas adaptés. Selon Grégoire Molle, les podcasts ont un taux de lecture deux fois moindres que ceux des articles. Pour Edouard Reis Carona, rédacteur en chef délégué au numérique de Ouest France, 10.000 lecteurs réguliers d’un podcast, c’est un gros succès !
  • D’ailleurs, c’est bien le problème également de l’absence de mesure certifiée à ce niveau qui complique la monétisation potentielle. Car à défaut de puissance, si on ne peut même pas prouver l’engagement, cela devient compliqué.
  • Ne pas négliger non plus le temps de production : selon Grégoire, un podcast de 10 minutes représente environ 24 h de travail dont 10 à 15h de montage.
  • Soignez la distribution de vos podcasts et attention, sur ce point, Soundcloud n’est pas bon. Pensez à Deezer et Spotify, mettez en place un flux RSS dédié pour Google et iTunes etc.

Lire aussi pour aller plus loin :

  1. Podcasts, 6 bonnes raisons de se lancer
  2. Pensez vos podcasts comme des produits
  3. Podcasts : comment les financer et gagner de l’argent ?
  4. Comment promouvoir votre podcast sur Instagram ?

Les stories Instagram: Format star pour toucher les 15-24 ans

David Blanchard – rédacteur en chef de 20 minutes – a présenté l’intérêt de ces nouvelles narrations pour les éditeurs de presse locale (ou nationale).

Il faut dire que le journal gratuit réalise un tiers de son audience sur les réseaux sociaux et que l’âge moyen de ses lecteurs est particulièrement jeune : 33 ans (contre 45-50 ans pour les lecteurs des autre quotidiens nationaux)

Les Stories présentent plusieurs atouts :

  • Ils fidélisent le lectorat et acculturent les plus jeunes au support. Aujourd’hui ce public ne lit pas forcément de l’actualité – ou sur des sujets précis – mais dans cinq ou dix ans ? Les jeunes lecteurs de presse locale ou souvent été familiarisés au titre car le journal traînait sur la table basse du salon de leurs parents.
  • Ils participent à la pérennité d’audience de 20minutes. Cette façon d’aller chercher les lecteurs sur les différents canaux où ils se trouvent, rend le média beaucoup moins vulnérable face aux changements d’algorithme des plateformes (Facebook, Google…), assure David Blanchard.
  • Ils donnent de l’exposition aux contenus à forte valeur ajoutée. Ils permettent aussi de recycler les archives de 20 minutes.
  • Ils sont un laboratoire qui permet de tester de nouveaux formats, tons ou temporalités…
  • Ils préparent l’évolution des métiers qui s’hybrident (texte, video, audio…), nécessitent davantage de collaboration et de créativité. Chaque locale de 20 minutes est responsable de ses comptes sociaux, forge leur agilité, qualité oh combien importante en ces temps d’évolution rapide des usages.

71% des 15-34 ans s’informent par les réseaux sociaux selon l’étude Médiamétrie 2018 (en pdf) réalisée pour le ministre de la culture. Pour 32% d’entre eux, les réseaux sociaux et Google sont même la seule source d’information.

Source Médiametrie: Les jeunes et l’information – juillet 2018 

Le rapport Reuters montre bien l’importance d’Instagram et Youtube, largement devant Twitter, comme vecteurs d’information des 18-24 ans. Cette tranche d’âge est d’ailleurs la plus nombreuse sur ces réseaux (trois fois plus nombreuse sur Instagram que les plus de 35 ans).

La surprise de graphique est que Facebook reste le premier réseau social utilisé par les plus jeunes pour s’informer. Mais ils y côtoient aussi des utilisateurs plus âgés.

Comment réussir ses stories, qu’est-ce qu’on raconte ?

Aurore Malval de Nice Matin (près de 44.000 abonnés Instagram) donne quelques-uns des sujets qu’elle a traités sous forme de Stories :

Coulisses décalées du festival de Cannes, comme ce reportage sur ces faucons installés à proximité du palais du festival pour chasser les mouettes et goélands susceptibles d’importuner, voire souiller les célébrités de leurs excréments.

Reportages avec angles originaux, à l’image de celui réalisé pour Nice Matin Kids, sur l’influence du conflit des gilets jaunes sur les jeux des cours de récré. Ou ce reportage co-réalisé avec des Kids reporters sur l’aéroport de Nice.

Critiques humoristiques de films où les journalistes assument leur subjectivité et leur inexpertise cinématographique, avec auto-dérision mais sincérité.

A lire aussi: L’engagement sur Instagram : les chiffres à connaître en 2020

Quelques illustrations dans la galerie ci-dessous :

Les conseils d’Aurore pour la conception des Stories :

  • Avoir une histoire intéressante à raconter et la scénariser sous forme de story-board. Inutile de savoir dessiner, des croquis simples suffisent à décrire les plans.
  • Récupérer assez de matière : séquences video, photos, sons
  • Veiller à la qualité de cette matière : cadrage, son, éclairage…
  • Soigner le rythme, ne pas produire de séquences trop longues
  • Travailler l’habillage visuel et sonore de ses Stories
  • Publier au fur et à mesure
  • Adopter un ton de proximité – parler comme à vos potes, mais sérieusement
  • Créer des rendez-vous, des formats récurrents

Les newsgames: Engager les lecteurs, développer l’image de la marque média

Arnaud Wéry journaliste-chef de projet au journal belge l’Avenir a fait un retour d’expérience riche sur son newsgame « Dans la peau d’un bourgmestre » lancé pour les communales (municipales) d’octobre 2018.

L’idée de ce jeu était de permettre aux internautes de se mettre dans la peau d’un bourgmestre (maire) et tenter de se faire réélire. A partir de cas réels, le joueur doit prendre des décisions qui ont un impact sur sa popularité, les finances publiques et la pression politique interne.

Le jeu était aussi un excellent moyen pour faire recirculer les joueurs vers d’anciens contenus de l’Avenir à l’issue de chaque question.

Un projet qui a demandé entre 6 et 8 jours de conception au total, au fil de l’eau sur une période de cinq mois. Pour un résultat modeste en terme de couverture mais remarquable en termes d’engagement et d’image pour la marque l’Avenir.

6400 parties ont été complétées à 100%. C’est considérable vu le temps que demande le jeu (entre 15 et 20 minutes minimum). Plus de 57% les joueurs ont réussi à se faire réélire, ce qui prouve que le niveau de difficulté était bien ajusté.

Sur l’engagement des lecteurs, ce format a donc bien fonctionné. Sur le fond, c’est aussi un format très efficace qui permet de faire comprendre des mécanismes complexes, comme les arbitrages et contraintes politiques, tout en informant les lecteurs.

Lire le compte-rendu détaillé de ce projet par Arnaud Wéry

Les conseils clés d’Arnaud pour réussir son newsgame :

  • Faire simple, éviter les usines à gaz en particulier sur la mécanique
  • Penser l’interface pour le mobile !
  • Connaître l’outil de conception avant de se lancer
  • Tester et ce, plusieurs fois en cours de conception
  • Brasser les compétences : pas que des journalistes, le point de vue des développeurs, marketeurs, designers sont les bienvenus
  • Bien communiquer en interne sur l’intérêt et la finalité du projet
  • Bien communiquer en externe pour maximiser l’impact en termes d’image

Pour aller plus loin sur le sujet de la mise en place de votre stratégie de contenu, faites-vous accompagner…

source: © Austin Distel – unsplash – mediaculture.fr – Cyrille Frank